La brigandine

LA BRIGANDINE

par Antoine Selosse (voir son blog : http://troiscouronnes.unblog.fr/)

extrait de Histoire Médiével N°25, janvier 2002

Brigandine G207 des Invalides
Brigandine G207 des Invalides

"Et le jeudy ensuivant, vingt et deuxième jour dudit mois d'aoust (1465) les dits bretons et bourguignons vindrent escarmoucher, et il yssit de Paris plusieurs gens de guerre aux champs, et là y eut un breton archier au corps de Monseigneur de Berry qui estoit habillé d'une brigandine de veloux noir à doux dorez, et en sa tête un bicoquet garny de bouillons d'argent dorez qui vint frapper ung cheval sur quoy estoit monté un homme d'armes de l'ordonnance du Roy"

Le combattant des anciens temps s'est vite aperçu que sa survie sur le champ de bataille dépendait de sa dextérité, mais surtout de sa protection corporelle. Dés lors, il s'est appliqué à développer une multitude d'artifices propres à lui sauver la vie et à augmenter ses chances de sortir indemne d'un conflit armé. Aujourd'hui encore, nous sommes fascinés par l'ingéniosité de ces protections que ces combattants nous ont légués. Le plus beau représentant est certainement le harnois blanc, nommé ainsi en raison de la blancheur éclatante de son acier poli, qu'ont savamment fabriqué les armaïoli milanais du XVe siècle. Mais ce harnois blanc ne doit pas nous cacher les autres richesses de notre patrimoine militaire, et je me propose de raviver la mémoire de la brigandine, protection des humbles comme des rois, associant le tissu et l'acier, et dont on retrouve les éclatantes couleurs sur nombre de miniatures et autres enluminures. Dans un premier temps, je vais la resituer dans son contexte historique, puis m'attacher aux considérations plus techniques qui entourent cet équipement.

L'ordonnance des armuriers de la ville d'Angers 1448

(Principaux extraits concernant les brigandines)
« Les brigandiniers seront tenus pareillement faire brigandines, c'est à savoir les plus pesantes de 26 à 27 livres poix de marc tout au plus (13 Kg), tenant épreuve d'arbalète à tilloles (à moufles) et marquées de deux marques, et les moindres de 18 à 20 livres (9/10 Kg), tel poix que dessus et d'épreuve d'arbalète à croc et trait d'archer, marquées d'une marque. Et seront icelles brigandines d'acier trempées partout et aussi toutes garnies de cuir entre les lames et la toile, c'est assavoir en chacune rencontre de lames, et ne pourront faire lesdites Brigandines de moindre poix de lame. Item, et faudra qe lesd. Lames soient limées tout a l'entour a ce que les etoffes durent plus largement...

Additif de 1481

"Chacune des lames desdites soit mise et chevauchée l'une sur l'autre tellement qu'on ne put rien bouter entre deux lames (...) et aussi que les clous soient si bons et suffisants que on les puît bien garnir et dégarnir."

La brigandine en son temps

Les dessins, peintures et enluminures montrent souvent des gens de pied ou à cheval portant des pourpoints colorés (rouge, vert, bleu, noir) et semés de petits clous dorés ou argentés: ce sont sûrement des brigandines.
Cette protection entre dans la liste des équipements militaires destinés à protéger le buste, partie vitale de notre anatomie. Suivant sa fortune, le soldat du XVe siècle utilisera une combinaison d'articles parmi les suivants :
Les illustrations diverses du XVe siècle semblent indiquer que beaucoup de gens de guerre adoptèrent la brigandine : les riches gens d'armes trouvaient dans cette protection un substitut plus souple au harnois plain », et les soldats moins fortunés y voyaient un harnois d'un très bon rapport efficacité/prix. Elle fut même utilisée pour le tournoi comme l'atteste un manuscrit anonyme, repris en 1866 par René de Belleval dans son traité "Du costume militaire des français en 1446." Ainsi, on trouvait sur le marché toute une gamme de brigandines différenciées par les formes, les matériaux employés et la finition.
La brigandine n'a donc pas été réservée à une classe particulière. Des civils en achetèrent pour des besoins de voyage ou par sécurité (on n'est jamais trop prudent !), de grands seigneurs en ont eu (Philippe le Bon entre autre) et le soldat lambda également. La différence entre ces clients potentiels est la somme investie dans l'achat. Une brigandine de roi vaut bien plus que celle d'un archer.
D'après les ordonnances bourguignonnes (années 1470), nous savons quels personnels étaient susceptibles d'utiliser la brigandine :
La brigandine n'est pas restée figée dans le temps, elle a suivi des évolutions dictées par les progrès de la métallurgie, au sens large, et par les remarques des utilisateurs. L'ancêtre lointain de la brigandine peut être vu en la lorica segmentata romaine, armure constituée de lames d'acier articulées entre elles, dont les premiers exemplaires sont datés du 1er siècle de notre ère. C'est un tournant dans l'histoire militaire romaine car la maille fut très longtemps la protection principale du légionnaire. Je ne m'avancerai pas en affirmant gratuitement que la lorica est bien l'ancêtre de notre brigandine du XVe siècle, mais on constate certaines similitudes. Il faudra attendre le XIVe siècle pour voir surgir le 'spangenharnisch', connu par les excavations réalisées à Wisby, sur l'île de Gotland dans la mer Baltique. C'est une protection réalisée par rivure de grandes lames d'acier sur un vêtement de cuir, et c'est là l'essence même de la brigandine

Utilisation de la brigandine

On associe le port de la brigandine avec d'autres équipements : pourpoint à armer, haubergeon, harnois de bras et de jambes, parfois même un volant et sa braconnière. On connaît mal la proportion de gens en brigandine par rapport à l'ensemble des gens de guerre. La plupart des peintres ne se sont pas donné la peine de diversifier de façon réaliste les militaires qu'ils représentent : soit tous sont en harnois blanc, soit tous sont en brigandine. Difficile donc d'établir la part de vérité dans ces illustrations. Remarquons enfin que Louis XI fit progressivement disparaître la brigandine au profit du jacque chez les francs archers ; la raison invoquée était le poids, difficilement cumulable avec le reste de l'équipement. Il faut rappeler que les francs archers, à l'inverse des archers des Ordonnances, étaient à pied...

L’association acier/vêtement

Parallèlement, en Italie, les armaïoli fabriquent les premiers plastrons d'acier, protégeant entièrement le torse par plusieurs tôles d'acier embouties. Certaines sont recouvertes de velours de coton, tel le plastron conservé au musée de Churburg. Certains plastrons sont ouverts par le milieu, telle une veste. Ces plastrons donneront naissance au harnois blanc, mais par dérivation aussi à la brigandine.

Considérations technologiques

Les premières brigandines sont décrites dans des écrits de compte à la fin du XIVe siècle. Le vestige le plus ancien est peut-être conservé à Chartres dans le trésor de la cathédrale (la datation de cette brigandine n'est pas certaine. Ian Eaves la date de la fin du XVe). Ne regardant son évolution qu'au XVe siècle, on divisera la problématique en deux grandes parties : le vêtement et les lames. Chacune de ces entités s'est transformée en cent ans de temps.
Détail de l'assemblage
Détail de l'assemblage

Le vêtement et son patron

La base d'une brigandine, c'est le vêtement qui va recevoir les lames d'acier. S'il ne participe pas directement à la protection, c'est grâce à lui que les lames tiennent en place. Il doit être suffisamment fort pour retenir les clous et le poids des lames. Il faut considérer deux aspects primordiaux: la forme du patron et les différents tissus le constituant.
Sur le premier point, on distingue deux styles foncièrement différents : la brigandine s'ouvrant sur le côté et celle s'ouvrant sur l'avant. Ces deux modèles sont construits sur des patrons différents. Pour le premier cas, on peut raisonnablement penser que le patron est constitué de 4 pièces: un avant, un arrière, une braconnière (partie basse de la brigandine) avant et une braconnière arrière. Certains modèles ont perdu leur braconnière (G208 - Musée des Invalides) laissant visible des oeillets, ce qui laisse supposer que cette partie pouvait être amovible. Le côté ouvert est très souvent le côté droit, car dans le cas d'une charge, la lance arrive par la gauche. Ce patron est peu courant (un modèle recensé aux Royal Armouries III 47 mais daté de 1540, un autre au Kunsthistorisches Museum de Vienne) et je suppose qu'il est en fait une réadaptation de la brigandine ouverte sur l'avant : on aurait cousu les deux moitiés antérieures, ce qui explique qu'il n'y ait pas une colonne centrale de lames, mais deux ! Il est peut être plus adapté au cavalier, car il a l'avantage de ne pas présenter de défaut sur l'avant. D'autre part, c'est sur ce type de patron que l'on voit un fautre (ou faucre, ou arrêt de lance, 'resta' en italien et 'lance rest' en anglais : arrêt en forme de crochet permettant de poser la lance de cavalerie). Les épaules ne sont pas cousues, elles sont fermées au moyen d'oeillets ou de boucles, rendant plus aisée son adaptation au combattant. Dans le deuxième cas, le patron se décline en 5 pièces (avant gauche, côté gauche, dos, côté droit, avant droit) ou en 3 pièces (avant gauche, dos, avant droit). La braconnière est parfois séparée, augmentant du même coup le nombre de pièces. Pour le premier patron, on se référera aux brigandines III 1663-4 conservées à Leeds. Le patron ne sépare pas la braconnière de la partie supérieure. C'est une réalisation assez logique car des clous fixant des lames se trouvent juste sur l'hypothétique couture reliant la partie basse et la partie haute: une telle couture fragiliserait la tenue des clous à cet endroit. De même, le dos est d'une seule pièce et non pas en deux, comme sur un pourpoint. Encore une fois, les épaules sont bouclées, permettant un ajustement précis de la brigandine au combattant. Pour le deuxième patron, la brigandine G205 conservée aux Invalides à Paris est un bon sujet d'observation. Cette brigandine a visiblement subi des restaurations (à en juger les pièces cousues aux épaules). La braconnière est rajoutée au reste de l'ouvrage par couture, et c'est justement là que l'on observe des détériorations.
Schéma technique de constitution
Schéma technique de constitution

Les matériaux utilisés

Maintenant que la question du patron est plus claire, il convient de s'intéresser aux matériaux employés. Il n'y a pas de règles absolues à ce sujet. Une redondance semble être le matériau extérieur, car on retrouve souvent le velours de coton ou de laine pour cet usage; mais ce n'est pas une règle car on trouvera à la fin du XVe siècle des brigandines recouvertes de cuir (brigandine espagnole des Invalides - GPO 709), et de plus riches propriétaires préféreront le satin. Ensuite, pour assurer une certaine résistance au vêtement on trouvera une toile forte, souvent du lin. La brigandine de Leeds, référencée III-1663, est constituée d'une épaisseur de velours de coton et d'une épaisseur de lin grossier. J'attire l'attention du lecteur sur le fait que l'examen des exemplaires survivants doit être pondéré par le facteur usure du temps. Si peu de brigandines ont survécu, c'est à cause de la nature fragile du textile. Un lin nous apparaissant grossier aujourd'hui était sûrement plus fin il y a 500 ans. Les comptes détenus par les Archives Nationales de Lille font mention de 'achat de peau de mouton pour doubler les brigandines' (A.N. Lille. RGF, B 1954, Fos 154 et 162 Vo, 1435). Quant à savoir où se situe exactement cette peau dans les différentes épaisseurs, c'est une autre question. Enfin, certaines brigandines possédaient une épaisseur de toile recouvrant les lames à l'intérieur. Peut être était-ce pour protéger les lames de la sueur, ou encore protéger le vêtement porté immédiatement en dessous de la brigandine (pourpoint à armer, ou autre) des tiges de clous rabattues. On trouve des boucles et sangles de cuir pour la fermeture aux épaules et sur le côté ou sur l'avant des brigandines. Mais ce n'est pas la généralité, comme le prouve la brigandine 6205 précédemment citée qui se ferme par des oeillets. Bref, on retiendra que chaque brigandine propose des variantes de patron et de matière : il n'existe pas qu'une seule manière de fabriquer une brigandine, et cela s'explique par l'échelle espace/ temps du XVe siècle. Les informations circulaient mal, et les artisans régionaux ont donc adopté des solutions personnelles et chaque fois différentes.

Les lames

Ce sont elles qui participent activement à la protection de l'individu. Pour leur étude, il faut considérer trois aspects leur forme et leur taille, leur mode de fixation, et leur état métallographique et métallurgique.

Brigandines sans lames ?

Commynes écrivit dans ses mémoires: « Les ducs de Berry et de Bretagne chevauchaient sur petites hacquenées à leur ayse, armés de petites brigandines, fort légères, pour le plus. Encores disaient aucuns qu'il n'y avait que petiz cloux dorés par dessus le satin, afin de moins leur peser ». C'est la seule trace écrite de brigandines sans lames et n'ayant que des clous. Commynes fait état d'une rumeur, ce n'est pas une certitude. Les puissants ducs de Bretagne et de Berry étaient escortés de leurs archers de corps, raisonnablement estimables à une bonne centaine : l'hypothèse qu'ils ne portaient que des brigandines de 'dissuasion' est donc plausible. Mais à moins de retrouver un exemplaire de ce type, il faut considérer cet atypisme avec énormément de précaution. Mieux vaut ne pas se lancer sur une telle fabrication qui n'échappera pas à la critique des professionnels.

Forme et taille

La forme et la taille des lames suivent une progression dans le temps. Alors que les premières brigandines étaient munies de grandes lames, les dernières du XVe siècle en auront de beaucoup plus petites. Le modèle de Chartres semble être un cas isolé d'avant-gardisme de brigandine à petites lames (ce n'est un avant-gardisme que si 1a datation de 1400 est juste). Les lames de 1450 sont hautes de 5 cm pour une longueur variable, les lames de 1480 n'ont plus que 2 cm de haut. Les lames de 1450 sont généralement cintrées afin de suivre les courbes du corps, les petites lames restent planes et c'est leur nombre qui permet à l'ensemble de suivre harmonieusement les lignes naturelles du corps. Une particularité de forme réside dans les grandes plaques pectorales que l'on retrouve sur de nombreux exemplaires, indépendamment du patron. J'y vois une survivance de l'ancêtre italien, le plastron de Churburg (cf les plaques pectorales conservées au musées de Chalcis). Ces plaques sont légèrement bombées, de façon à ne pas présenter une surface plane aux coups, qui 'capturerait' les coups.

Durée de vie d'une brigandine

D'après plusieurs expériences menées par Lys & Lion -1462 (cf Histoire Médiévale N°24), nous pouvons estimer la durée de vie des brigandines. Nous avons mis à jour certains facteurs influençant cette durée : bien entendu la fréquence d'utilisation, la qualité des tissus utilisés et la pose des clous. Un premier modèle, en service depuis près de 5 ans, ne présente quasiment aucune usure. Il est utilisé occasionnellement mais sans ménagement. A part quelques effilochages, la structure est en parfait état. Un autre modèle par contre a connu des difficultés dès la fin de sa fabrication, à cause d'un velours de mauvaise qualité. Certains clous, qui avaient été trop serrés, ont écrasé la fibre textile et sont passés du même coup à travers le vêtement. Historiquement, on retrouve des comptes mentionnant la réparation des brigandines par ajout de pièces de tissu, opération nécessitant le déclouage des lames puis leur reclouage. C'est pourquoi on insistait sur la malléabilité des clous.

La fixation

La fixation des lames passe par les clous ('nayles' en anglais) ou rivets. Deux problématiques sont à étudier : leur état et leur agencement. Les clous à brigandines étaient fait de matière tendre, fer ou alliage cuivreux. Cela dans l'optique de faciliter les travaux de réparations, comme nous l'indique une ordonnance royale: 'et aussi que les clous soient si bons et suffisants que on les puit bien garnir et dégarnir'. Dans les deux cas, on pouvait leur apporter un revêtement (dorure, argenture, laitonnage) pour les garder de la corrosion (surtout dans le cas du fer). Parfois les clous étaient décorés, la tête prenant la forme d'une étoile: c'est le cas de la brigandine G207 des Invalides et III- 1663-4 de Leeds. Ce détail est également visible dans une peinture de Memling (le martyr de Saint Jean-Baptiste). La taille de ces clous suivra l'évolution des lames elle diminuera avec le temps. La consommation de ces clous devint rapidement très élevée (20000 Bregander nayle 11 s. 8 d. (1465) Actes de sir John Howard), une brigandine munie de manches, conservée à l'Arméria Real de Madrid, compte 3827 lames maintenues par 7000 rivets). Deuxième point à traiter: l'agencement des clous. On utilisait des groupes de trois clous pour fixer les lames des premières brigandines. Les clous représentaient des triangles plus ou moins équilatéraux et étaient très rapprochés. Certaines lames accueillaient quatre groupes de clous, d'autres uniquement deux. Avec le temps et la diminution de la taille des lames, les clous furent posés en ligne (4 à 6 clous par ligne en moyenne). Certaines lames protégeant le col étaient fixées avec des rosettes de 7 clous. Il faut retenir que les clous étaient toujours posés en groupe, jamais à l'unité. Leur pose s'apparente à celle d'un rivet on mate l'extrémité de la tige du clou directement derrière la lame. Il n'y a pas besoin de rondelle ou autre pièce de métal rapporté, c'est la lame qui joue ce rôle. Contrairement à certains discours des professionnels du travail de métal, la pose du clou n'est pas forcément soignée, comme en attestent certains clous de la brigandine III-1663 de Leeds les tiges ont été rabattues, et non pas matées comme l'exige la pratique courante.
La disposition des lames suit une logique: le soldat est exposé, à l'avant à des coups donnés de haut en bas et dirigés vers le centre de la poitrine. Ensuite, ce soldat est éventuellement soumis à des coups venant de l'arrière, la mêlée devenant confuse à la suite du choc initial. Le col est monté avant le reste du corps. Le corps avant de la brigandine sera ensuite monté colonne par colonne en commençant par les colonnes centrales, les lames se chevauchant à la manière des tuiles d'un toit: on commence une colonne par la lame du haut et on descend jusque la ceinture, puis, pour le montage des quartiers bas, on commence par la lame du bas et on remonte jusqu'à la ceinture. Cette méthode est attestée par la brigandine III 1663 de Leeds, mais n'est pas la règle absolue. La brigandine G207 des Invalides a été montée ligne par ligne, de haut en bas. On continue le montage par l'arrière, qui se fait de la même manière que l'avant, mais on commencera par les colonnes latérales pour arriver à la colonne centrale: ainsi on dessine mieux le creux du dos et donnant l'apparence d'un habillement ajusté. Enfin on fixe les lames des côtés et des passages de bras, toujours en commençant par le haut pour descendre jusque la ceinture, et ainsi de suite. Cette disposition générale évite qu'une pointe ne soit arrêtée par une lame et vienne alors s'enfoncer dans le corps du propriétaire. Pour les brigandines s'ouvrant par le milieu, on remarque que les lames de la partie avant droite dépassent de 2 à 3 cm du vêtement afin que la superposition des deux parties avant soit sans défaut (visible sur les brigandines III 1663-4 de Leeds, 6205 des Invalides).

Métallurgie des lames

Premier aspect des lames, leur état physique, certaines sont en acier trempé, comme l'indique l'ordonnance des armuriers de la ville d'Angers ; l'absence d'analyse métallographique ne permet pas de généraliser ce procédé à toutes les brigandines. Cette trempe est destinée à accroître leur résistance. Avant cette opération elles étaient percées. Elles sont toutes marquées du poinçon de leur fabricant. Le marquage est dans certaines villes codifié; toujours à Angers, une brigandine à simple épreuve (qui résiste aux traits d'archer ou au carreau de l'arbalète à croc) verra ses plaques frappées d'une seule marque, alors que la brigandine à double épreuve (elle résiste au carreau de l'arbalète à moufles) a ses plaques frappées de deux marques. Ces poinçons sont une garantie pour l'acheteur. Malheureusement, nous ne savons pas comment les épreuves étaient réalisées (tir à bout portant ?). Il est fait mention dans un document de 1448 de « brigandines pour galloz » (pour galère) (Claude Gaïer, "Commerce et industrie des armes dans les anciennes principautés belges") : c'est peut être une qualité médiocre car on retrouve ce qualificatif pour d'autres harnois. Enfin elles étaient protégées (étamage, vernissage, dorure, argentage, cuivrage,...) pour les empêcher de rouiller. Sur ce point, nous avons remarqué par des essais que les lames non protégées ne rouillaient pas. On pense que le contact et le frottement continuel avec le pourpoint ou le jaque du propriétaire empêche la formation durable de rouille. Il est également possible que certaines brigandines aient eu leurs plaques encollées de peaux pour limiter l'usure de l'étamage par le frottement des lames entre-elles : « et aussi toutes garnies de cuir entre les lames et la toile, c'est assavoir en chacune rencontre de lames ». On limait les contours Ses plaques, toujours pour limiter l'usure du tissu. Quant à leur épaisseur, je n'ai pas de renseignement: une expertise de modèles survivants est la seule façon de se donner une idée. Je pense néanmoins que cette épaisseur se situe entre 0,8 mm et 1,2 mm.

Brigandine et reconstitution, les pièges à éviter

Et la reconstitution dans tout cela ? Il est dommage que cet équipement soit quasiment inexistant des camps ou autres manifestations, alors qu'il était si populaire au XVe siècle. Voici quelques conseils. Je passe sur les brigandines sans lames (voir encadré). L'essentiel, c'est le vêtement, car c'est de lui que dépendra la durée de vie de l'ouvrage. Choisissez de bonnes matières pas d'acrylique ou autres tissus synthétiques. Laine, coton et lin sont vos seuls amis. Ensuite, soyez humbles. Ne commencez pas par une brigandine avec des grandes plaques pectorales pour votre premier essai, car c'est un modèle difficile à réaliser. La brigandine 6207 des Invalides est un bon exemple pour un premier essai, car il n'y a pas vraiment de piège. Observez bien le montage des lames, surtout les lames du col. Tracez le patron des lames dans un carton fort, puis vérifiez que le montage est cohérent : prévoyez un surdimensionnement pour assurer le recouvrement des lames. Coupez ensuite toutes vos lames et cassez les bords pour ne pas vous blesser. Une tôle d'acier de 1 mm d'épaisseur réalisera le meilleur compromis historique / efficacité. Ne prenez pas de tôle galvanisée, son aspect étant trop marqué. Soyez vigilants sur le choix des clous, les clous de fer (semence de tapissier par exemple) ont tendance à rouiller et à ronger le tissu. Le laiton est un meilleur choix, mais plus difficile à trouver. Ici encore, ne tombez pas dans le piège de la facilité en utilisant des rivets pop ou des rivets creux. Vous seriez démasqués au premier coup d'oeil. Pour les plus avertis, vous pouvez matricer les têtes de clous avec un poinçon en forme d'étoile à 8 branches. Et pour les moins habiles de leurs mains, les coordonnées d'un fabriquant se trouvent dans le carnet d'adresses.
Détail d'une reconstitution
Détail d'une reconstitution

Compléments

Les masses des brigandines ont relativement mal connues. La fragilité des derniers exemplaires fait renoncer à l'opération de pesée. Seule une ordonnance d'Angers nous renseigne sur ce point :
C'est à prendre avec précaution car ce sont des informations relatives à une région particulière à un moment donné. Entre autre, le manuscrit anonyme de 1446 précise que les brigandines de tournoi sont plus légères (environ 7 kg) et un autre document de 1458 mentionne des brigandines de 5 à 6 Kg.
On peut raisonnablement estimer que la brigandine est de 4 à 10 fois moins chère qu'un harnois au blanc.
Voici quelques noms de brigandiniers oeuvrant dans les Pays-Bas :
Les brigandines s'accompagnaient parfois de garde bras faits à la « manière de brigandine ». Je n'ai pas d'idée au sujet de leur fabrication, mais on en voit sur la peinture de Jean Fouquet, l'adoration des Rois Mages, qui met en scène le Roi, ses frères et la garde écossaise: les archers de corps du Roi en étaient munis. Autre raffinement : des tassettes (aussi appelées basques ?) étaient attachées comme sur une braconnière de harnois blanc. On trouve également traces de bardes (harnois pour chevaux) de même (Archives du Nord, 2e livres de compte de Guillaume Poupet, 1455).

Cette rétrospective n'est pas complète, loin de là. Mais j'ose espérer avoir tiré d'un oubli injustifié cet habillement de guerre. La prochaine étape dans cette réhabilitation sera la naissance de vocations de « brigandiniers » qui pourront faire leur propre expérience et la diffuser ; nous verrons dès ce printemps si mon message a porté ses fruits. Certains accès à notre patrimoine restent difficiles ; des collections renferment des trésors inestimables et pourtant gardés cachés du public. Aussi, il est du devoir de ceux qui auront la possibilité d'observer de près des brigandines d'en faire profiter les autres.

A. S.

Brigandine 1663 du Royal Armouries
Brigandine 1663 du Royal Armouries

Remerciements


Bibliographie


Où voir des brigandines

Extrait de «J'ai ouï dire » n°1, août 2000 - Antoine Selosse
Voir aussi son blog : http://troiscouronnes.unblog.fr/

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