Foulques-Nerra

Foulques-Nerra

par Philippe de Froberville

Historia N°369, Août 1977


Foulques-Nerra C'est une des plus extraordinaires figures du Haut Moyen Age. Extrême dans le mal comme dans le bien, il fut un de ces grands féodaux contre lesquels nos rois ont dû lutter avec persévérance pendant plusieurs siècles pour arriver à constituer l'unité de la France.

Des flammes sortent de toutes les fenêtres de l'abbaye de Saint-Florent à Saumur. Les moines affolés, se précipitent dans l'église à travers la fumée, au risque d'être écrasés sous les poutres embrasées ; ils sauvent non sans peine la châsse de saint Florent, tandis que le château fort tout proche brûle. Foulques-Nerra, comte d'Anjou, debout sur un tertre, reste impassible. Il regarde le désastre qu'il a voulu, le brasier que ses troupes ont allumé.

— Laisse-toi brûler saint Florent, s'écrie-t-il, et je te bâtirai une basilique à Angers qui vaudra bien celle-là.

On lui mène des prisonniers. Il en gifle un avec une telle force qu'il lui arrache un œil. Les autres sont massacrés. Quant aux fils du gouverneur de la forteresse de Saumur, il les livre à la torture.

Une bête d'action

C'est ainsi qu'on verra souvent ce puissant comte d'Anjou, chef de guerre et stratège génial, pilleur de villes, fondateur d'abbayes, assassin de ses prisonniers, incendiaire de fermes et de couvents, auteur de supplices atroces, pèlerin repentant en Terre Sainte, généreux bienfaiteur de ses serfs et de ses manants, surnommé Nerra — le « faucon noir » —, né vers 972 ou 987, fils de Geoffroy, surnommé « Grise-gouelle » et vassal du roi de France qui était alors Robert le pieux.

Rien n'était moins confortable à la fin du Xe siècle que la situation du roi dans son petit domaine qui s'étendait à peine de la Meuse à l'Île-de-France et ne dépassait guère Orléans au sud.

Entouré de vassaux inquiétants, Robert le pieux et son successeur Henri Ier ont plus d'une fois tremblé devant leurs exigences.

De ces grands féodaux, les plus turbulents étaient certainement Foulques-Nerra et son voisin Eudes Ier, comte de Blois, de Chartres et de Tours. Toute la vie de Foulques sera consacrée à agrandir son comté, en particulier dans la Touraine sur laquelle Eudes avait des prétentions plus ou moins légitimes.

C'est dans cette vie de luttes et de violences que se dévoile le comportement hors du commun, de cette terrible bête d'action qu'est le comte d'Anjou, d'un caractère tout en contrastes, ambitieux quoique sans duplicité, « oscillant, comme le dit La Varende, entre le crime et le remords, la tuerie et la dévotion, le drame et la comédie ». N'est-il pas allé trois fois à Jérusalem prier sur le tombeau du Christ pour se faire pardonner des crimes qui avaient épouvanté ses contemporains, pourtant assez cuirassés sur ce point-là ?

Cependant dans tout le comté d'Anjou, on l'aime et on le respecte. Il a d'abord pour lui la tradition carolingienne et une supériorité de fait sur les autres seigneurs du comté parce qu'il est le plus grand possesseur de fiefs. Ses vassaux lui doivent tout et sont à sa merci.

De plus, comme il est généreux pour le clergé, celui-ci lui est soumis. Que d'abbayes, d'églises, de prieurés, de monastères ne doit-on pas à cet homme aussi extrême dans sa piété que dans sa violence ! Les abbés et les moines ont servi son prestige au moins autant que son courage et ses victoires.

Enfin il donne un grand exemple aux autres seigneurs et à ses propres vassaux. Aussi puissant que le roi de France, il lui rend cependant hommage sans discuter et avec le plus grand respect.

Foulques veut Saumur

Foulques, homme de guerre, va montrer ses talents de stratège et aussi d'homme politique. L'avantage qu'il a sur ses voisins c'est d'avoir régné cinquante-trois ans, d'avoir vu mourir Hugues Capet, Robert le pieux et de batailler encore dix ans sous Henri Ier, ce qui lui a permis de mener une politique suivie.

S'il passe pour le plus remarquable chef de guerre de son temps, c'est qu'il possède une intelligence rapide et un sens de l'action opportune. Jamais il ne s'engage dans une guerre sans un plan précis, sans avoir d'abord installé ses postes de défense, sans avoir jugé de la valeur de ses soldats et surtout de la confiance que méritent ses alliés.

Qualités exceptionnelles à cette époque où on faisait la guerre sans tactique aucune, en fonçant droit sur l'ennemi pensant qu'en assommant, en transperçant, en découpant, on avait toutes les chances de gagner. Foulques fait tout cela, mais avant, il a bien réfléchi et tout pesé.

En prenant possession de son comté il trouve une situation délicate : il possède Amboise qui constitue une enclave dans le comté de Blois tandis qu'Eudes possède Saumur, point stratégique avancé en plein comté d'Anjou.

Terrible chassé-croisé, inadmissible pour l'un comme pour l'autre et qui sera une occasion de verger beaucoup de sang.

Amboise a été presque entièrement ruiné par les Normands et son nouveau seigneur. Louis de Bègue, a fait reconstruire un château-fort et des remparts, le tout en bois, à la hâte et donc vulnérable.

Saumur, par contre, est puissamment fortifié. De plus, la ville commande la navigation sur la Loire, question capitale pour le comté d'Anjou.

Le plan d'Eudes est de s'emparer d'Amboise, puis de Loches, solide forteresse de Foulques. Le combat qui va se livrer donne une première idée de l'habileté de Foulques.

Une fuite stratégique

Il apprend par quelque espion à son service le projet d'Eudes. Avec sa rapidité de décision habituelle, il réunit ses troupes et fonce vers Amboise. Mais Eudes est renseigné et, aussi rusé que son voisin, il imagine un plan de la meilleure stratégie.

Il maintient ses troupes en Beauce et quand Foulques arrive devant Amboise, il ne trouve personne devant lui. Il aurait pu faire le sac de la ville, mais il veut écraser les troupes de son ennemi par une victoire décisive. Il va chercher l'ennemi là où il est.

Les Angevins avancent donc à travers la Beauce à la poursuite des troupes d'Eudes, mais celui-ci simule une retraite. Son plan est d'entraîner les Angevins loin de leurs bases, de les attendre dans sa belle forteresse de Châteaudun puis de les prendre à revers et de les encercler. Et Foulques avance toujours.

Dès que ses troupes sont sous les murs de Châteaudun, les Dunois et les Blésois qui y sont installés font une sortie et foncent sur les Angevins ; ils sont aussitôt refoulés par les assaillants et regagnent à bonne allure leurs remparts. Toute la journée se répète ce mouvement de va-et-vient sans résultats de part et d'autre.

A la tombée du jour, Foulques fait reculer ses troupes, les éparpille et donne l'impression de s'en aller, lassé.

Les gens d'Eudes, pleins de confiance, sortent de la ville et s'élancent sur les arrières du comte d'Anjou. C'est ce que voulait Foulques : un combat en rase campagne.

Les Angevins, disciplinés, s'écartent laissant un grand espace où s'avancent les troupes d'Eudes puis, brusquement, font volte-face, les encerclent et c'est alors un affreux massacre où apparaît la cruauté de Foulques.

Debout, au milieu des morts, il ne fait pas même grâce aux prisonniers, sauf à vingt chevaliers qui pourront, à l'occasion, lui servir d'otages.

Et Amboise ? Il y pense plus que jamais. Landry de Dunois, un fidèle d'Eudes, possède à moins d'une lieue d'Amboise une maison très bien fortifiée, et Foulques en sent le danger pour sa ville.

Sans laisser le temps à son ennemi de se ressaissir, il entraîne ses Angevins à marche forcée et, trois jours après sa victoire, il attaque Landry.

La petite garnison et les habitants terrifiés de la présence du « Nerra », privés de leur chef et du gros des troupes, se rendent sans défense sous la seule condition qu'on leur laissera la vie. Foulques prend alors possession de la forteresse et la détruit de fond en comble jusqu'aux fondations et aux fossés.

Son plan tactique a réussi. Il s'agit de recommencer en se servant de l'expérience acquise. Car, tandis qu'il est occupé à ses plans sur la Touraine, où s'agite sur ses frontières, Conan, comte de Rennes, qui a épousé Ermangarde, sœur de Foulques, veut lui enlever les terres de son comté qui s'étend jusqu'à la Mayenne et même la ville d'Angers. Conan se disait aussi comte de Nantes, bien que la ville ait été sous les ordres d'Hamon, héritier reconnu par les Nantais et que soutient le comte d'Anjou.

Conan, pour s'affirmer, n'a plus que le moyen des armes et il s'avance devant Nantes pour en faire le siège. Hamon a le temps de prévenir Foulques qui, avec sa rapidité habituelle, prévient ses vassaux, groupe ses troupes et descend la vallée de la Loire.

Les beaux-frères ennemis

On ne sait pourquoi les deux beaux-frères se rencontrent non pas sous les murs de Nantes, mais dans la lande de Conquereux qui s'étend au nord de Nantes et à l'ouest de Châteaubriant.

Il est probable que Conan voulait employer une tactique particulière et avait choisi ce terrain. Il y arrive d'ailleurs le premier et fait creuser aussitôt une large tranchée qu'on recouvre de branchages.

Quand les deux guerriers se retrouvent face a face c'est un échange d'injures hurlées d'un camp à l'autre jusqu'à ce qu'exaspérés, les Angevins attaquent par un tir nourri de flèches.

Conan fait reculer ses Bretons ; les Angevins se croient déjà vainqueurs, mais la cavalerie et les archers de Foulques, lancés en avant, roulent pêle-mêle dans les fosses creusés par les Bretons.

Foulques y tombe comme les autres avec son cheval, mais se relève. On devine la rage qui s'empare de ce tempérament de feu. Il subjugue ses troupes, leur fait contourner les fosses par un large détour, les relance en avant sur les Bretons qui s'enfuient dans le plus grand désordre et c'est alors une effroyable boucherie.

Toute la colère de Foulques contre le stratagème de Conan éclate. Pas de prisonniers. On achève les blessés, on tue et on pend les chefs. Conan a été tué au cours de la bataille.

Un époux cruel

Pris de remords à son retour à Angers, Foulques fait une donation importante à l'église Saint-Maurice « pour le salut de son âme pécheresse et pour se faire pardonner le massacre épouvantable des chrétiens qu'il a fait tuer sur la lande ».

Autre combat non moins cruel toujours contre Eudes de Blois, pour obtenir les rives du Cher et prendre la forteresse de Montrichard qui commande la navigation sur la rivière. Il s'est fait un bon allié avec le comte du Mans.

La bataille qui se déroule dans la plaine tourne d'abord à l'avantage du comte de Blois. Foulques-Nerra va être battu lorsque les Manceaux arrivent au dernier moment, permettent aux troupes de Foulques de se regrouper et c'est alors l'un des plus terribles massacres de l'époque où près de cinq mille morts restent sur le terrain. Les prisonniers sont naturellement égorgés sur place.

Encore une fois, Foulques a vaincu.

La guerre finie, il est obsédé par tous les massacres qu'il aurait pu éviter. Alors il se confesse, communie, s'inflige de rudes pénitences, comble de dons les abbayes qu'il a fondées ; puis le fond du caractère de ce demi-barbare ressurgit.

Il a épousé Elisabeth de Vendôme, fille du célèbre Bouchard, le favori le plus fidèle d'Hugues Capet. A sa grande désillusion, il naît une fille. Un guerrier de sa taille devait avoir un fils. Et après tout il guerroyé souvent loin de sa femme.

Cette fille indésirable ne serait-elle pas le produit d'un adultère ? D'un soupçon, il lui est facile de passer à une certitude. Un adultère aussi notoire mérite la mort.

Il choisit lui-même les juges. Elisabeth se défend tant qu'elle peut : elle n'a aucune chance. Le verdict est terrible. Elle est condamnée et, le lendemain, elle est brûlée vive sur la place d'Angers sous les yeux horrifiés du peuple qui aime sa princesse.

Quelques jours après, un immense incendie détruit presque entièrement la ville d'Angers. « C'est la vengeance du Ciel », s'écrient les Angevins.

Après ce crime et les massacres de Couquereux et de Pontlevoy, Foulques est pris d'une peur panique de l'enfer. Il lui faut une pénitence en rapport avec cette accumulation de cruautés.

Pour cela, il n'y a rien de mieux, à son avis, que les Lieux saints. Le voilà donc, en 1002, à cheval sur la route de Jérusalem où, à peine arrivé il s'effondre devant le tombeau du Christ et verse, pendant des heures, d'abondantes larmes.

On n'a pas de détails sur son séjour dans la Ville Sainte. On sait seulement que les Infidèles lui ont demandé un prix exorbitant pour lui permettre d'approcher le tombeau du Sauveur.

A son retour, il a l'esprit en paix et oublie un moment les « plaisirs de la guerre ». C'est alors qu'il fonde la grandiose abbaye de Beaulieu à environ quatre à cinq kilomètres de sa forteresse de Loches.

Cet abbaye lui tiendra au cœur toute sa vie et il la comblera de dons et de privilèges. L'évêque de Tours, tout heureux de cette fondation, demandera même l'honneur de présider la cérémonie de la dédicace en l'an 1012.

Cette période de calme ne convient guère au tempérament de Foulques et ne pouvait durer, d'autant plus que ses voisins ont profité de son absence pour faire des incursions sur ses terres.

Foulques qui a toujours dans son plan la prise de Saumur, s'y porte avec ses troupes en 1019 ou 1020. La citadelle est mal défendue. Eudes y a laissé une garnison trop faible.

Foulques l'enlève sans difficulté, pénètre dans l'abbaye dédiée à saint Florent et l'incendie en y ajoutant les crimes et les violences dont il a l'habitude. Mais pour le mystique qu'il est, la destruction d'une « maison de Dieu » lui paraîtra, à tête reposée, un méfait impardonnable, à moins de sévères pénitences.

Pendant ce temps-là, Eudes voyant son ennemi occupé ailleurs et furieux de ce qu'il apprend, lui enlève la forteresse de Montboyau, située à l'ouest de Tours à l'embouchure de la Choisille, l'une des places fortes les plus importantes du système défensif de Foulques.

intrigues à la cour de France

Faire la guerre c'est passionnant, mais ce n'est pas encore assez pour l'activité du « faucon noir ». Et puis il tient à en imposer au roi. Il se trouvera bien une occasion.

Robert le Pieux a épousé Constance, fille du comte de Toulouse et propre nièce de Foulques. La jeune femme est aussi emportée et violente que son oncle.

Or le roi aime particulièrement un de ses barons, Hugues de Beauvais, et subit à tel point son influence qu'il prend rarement une décision sans son conseil.

Constance, prise d'une violente jalousie, hait le favori. Un seul homme peut la comprendre : son oncle. Elle lui envoie un messager porteur d'une lettre lui expliquant tous ses griefs.

Foulques comprend tout de suite ce qu'on attend de lui.

Un jour où le roi chasse avec son cher compagnon, celui-ci est cerné par une douzaine de sbires à la solde du comte d'Anjou. Ceux-ci font une révérence au roi puis, sous ses yeux, saisissent Hugues de Beauvais et lui tranchent la tête.

Le roi, bouleversé mais pas assez sûr de lui et de son entourage, n'ose pas se venger. Il alerte Fulbert, le célèbre évêque de Chartres, et Foulques reçoit une admonestation des plus sévères. L'évêque le menace d'excommunication et l'oblige à se mettre à genoux devant le roi.

Foulques s'incline. Effrayé encore une fois d'être mis au ban de la Sainte Église et condamné aux peines de l'enfer, il se reconnaît seul coupable.

Dernière solution pour ce mystique : faire une grande pénitence ; et il repart pour Jérusalem.

La chronique du temps raconte que, comme à leur habitude, les Infidèles lui font payer la grosse somme pour son entrée dans la ville. Le pénitent pleure tant à genoux au pied du Saint-Sépulcre que, racontent ses biographes, ses larmes amollissent la pierre et qu'il en arrache un morceau avec ses dents.

De ce voyage, il rapporte un fragment de la vraie croix, une courroie qui avait lié les mains du Christ lors de sa flagellation et le morceau du Saint- Sépulcre qu'il a arraché. Il dépose le tout en l'église Sainte-Marie d'Amboise.

Devant le tombeau du Christ

En 1035, le comte d'Anjou, a encore de graves fautes à se faire pardonner. Il a mis fin à des révoltes de paysans, ce qui ne se passa pas sans incendie de villages, pillages et viols pour la satisfaction de ses soldats.

Quand le calme est rétabli, il pense à son âme qui mérite une nouvelle pénitence. Pour lui, pas de sanctuaire aussi riche en grâces que Jérusalem. Pour la troisième fois, il reprend la route de la vie sainte. Il n'est plus seul. Robert, duc de Normandie, l'accompagne. Lui aussi cherche le pardon. Il vient de faire empoisonner son frère.

Les deux insignes pèlerins ont décidé de faire le voyage nu-pieds. Au soir du premier jour ils ont les pieds en sang et ils continuent leur voyage portés sur une litière.

On raconte qu'aux Lieux saints, les Turcs obligèrent Foulques à souiller le Saint-Sépulcre. C'était pour lui un sacrilège impossible.

Harcelé, il trouve la solution. Il dissimule dans ses chausses une vessie pleine de vin blanc et en arrose consciencieusement la pierre. Les Turcs furent satisfaits. Ce qui ne les empêcha pas de rançonner copieusement les deux pèlerins.

A son retour, il trouve son fils Geoffroy Martel, maître du comté de Vendôme, ce fief qu'il a eu tant de mal à acquérir. Ce jeune homme, aussi doué que son père, va décidément trop loin.

Son père l'attaque, le bat et l'oblige à venir, avec une selle sur le dos, s'humilier en s'agenouillant devant lui en présence de ses barons et de ses troupes. Le vieillard tremblant de colère le frappe du pied plusieurs fois en criant :

— Tu es vaincu, enfin vaincu !

— Oui, je suis vaincu, répond le fils, mais par toi seul parce que tu es mon père. Pour tout autre je suis toujours invincible.

Quelques années plus tard, Geoffroy Martel reprit le comté de Vendôme et le garda.

Le voyage que Foulques-Nerra fait à Jérusalem en 1039 sera le dernier. Il a reçu l'hommage de la ville de Chinon et son château fort est à ses ordres. Il a pris le château de Saint-Aignan. Il possède maintenant Loches et toutes les vallées et les routes de la Tourraine sont sous sa surveillance, sauf la ville de Tours qu'il ne put jamais garder. Le plan conçu au début de son règne est achevé.

Le terrible comte d'Anjou se sent vieux. Le temps est venu de se détacher des choses de la terre et de ne plus penser qu'au salut de son âme. Dans une séance solennelle, il remet son comté à son fils Geoffroy Martel à qui il a pardonné et il part pour la Ville Sainte, emmenant avec lui ses deux plus fidèles serviteurs.

Arrivé devant le tombeau du Christ, il leur fait promettre de lui obéir en tous points. Alors il s'étend sur une claie, se fait traîner dans les rues et tandis que ses serviteurs le frappent à coups de verges, il crie aux passants :

— Ayez pitié du traître et parjure Foulques-Nerra ; Seigneur Jésus, pardonnez à mon âme suppliante.

Fatigué, il reste plusieurs mois à Jérusalem, il prie, il s'impose de sévères pénitences, tâchant de compenser ses crimes et ses brutalités passées par des larmes de remords.

Un être de contradiction

Revenant par la route de terre, il passe par Metz où il s'arrête épuisé. Il tombe malade, ne peut plus se relever.

L'évêque de Metz, Thierry de Luxembourg le visite, le confesse et assiste à ses derniers moments. Le 21 juin 1040, le pénitent expire et l'évêque lui ferme les yeux.

Son corps, embaumé selon ses dernières volontés, est transporté à Loches, puis en sa chère abbaye de Beaulieu où il est inhumé en grande pompe dans l'église du Saint-Sépulcre par l'évêque de Metz lui-même qui a suivi le corps depuis la Lorraine.

Le beau monument funéraire élevé sur son tombeau a été d'abord très abîmé au cours d'un incendie allumé par les Anglais en 1412, puis les révolutionnaires de 1792 l'ont détruit entièrement.

D'autres souvenirs de Foulques demeurent en France : forteresses, monastères ou églises. De ses nombreux châteaux forts dont il reste de belles ruines, il est difficile de faire une liste complète, mais il en est assez en Tourraine et en Anjou pour donner une idée de sa puissance.

On lui doit sa chère forteresse de Montboyau, les châteaux forts de Semblancay, de Langeais, de Montrichard, de Château-Gontier élevé en 1007, de Montbazon, Villantroy, Loches, Montrésor, le Lude, Durtal, la Flèche et d'autres petites forteresses construites rapidement pour une opération stratégique et disparues depuis.

Mais le stratège étonnant qu'il fut pour son époque, n'oubliait pas les œuvres pies. Ses remords nous ont valu sa chère abbaye de Beaulieu et ses deux églises. En 1020, il fonde l'église et l'abbaye de Saint-Nicolas, d'Angers ; au retour de son deuxième voyage à Jérusalem, l'église de Saint-Aubin, à Blaison, au sud de la Loire, l'église de Saint-Rémy-sur-Loire, la reconstruction de Saint-Martin, d'Angers, le prieuré de Notre-Dame-lez-Chateauneuf sur la Sarthe, l'abbaye du Ronceray dans les faubourgs d'Angers consacrée en 1028, enfin de nombreux petits prieurés qui ont tous, à peu près, disparu.

A ces créations, s'ajoutent les dons qu'il faisait aux plus pauvres et aux malades. Rien d'étonnant à ce qu'à l'enterrement de ce terrible homme de guerre, le peuple ait beaucoup pleuré.

Philippe de Froberville


Robert le Pieux, né entre 968 et 974, mort en 1031. Henri Ier, son fils, né vers 1008, mort en 1060.

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