Le Vercors n'a pas abrité de monastères chefs d'ordre, à l'inverse du massif voisin qui accueillait la Grande Chartreuse et Chalais, mais nombre d'implantations monastiques et canoniales jalonnent son histoire. Les moines, appartiennent à un ordre et pratiquent une vie plus ou moins communautaire. Les Bénédictins, les Chartreux, les Cisterciens sont des moines. A leurs côtés apparaissent des chanoines réguliers, comme les Augustins ou les Antonins. Il s'agit de clercs, groupés en communautés autonomes dans de véritables monastères et soumis à la règle de saint Augustin. Par certains côtés, leur vie commune évoque celle des moines, mais il subsiste des différences fondamentales. Ils conservent un ministère extérieur, prennent en charge plus facilement que les moines la cure des âmes dans le cadre des paroisses, et s'orientent résolument vers les pauvres, les pèlerins, les voyageurs et les malades. Il convient de les différencier des chanoines du chapitre cathédrale, interlocuteurs privilégiés de l'évêque avec lequel ils dirigent ce que nous pouvons appeler l'église de Grenoble. Il arrive que l'évêque leur impose la règle de saint Augustin, mais pas de façon vraiment durable et leur vie reste frappée d'une grande spécificité.
Les implantations ont pris parfois la forme de maisons importantes comme les chartreuses des Ecouges ou du Val Sainte-Marie de Bouvante, filles de la grande Chartreuse, ou les abbayes cisterciennes de Léoncel et de Valcroissant, filles de Cîteaux. Plus modestes, les prieurés, avec une poignée de religieux, appartiennent aux réseaux des monastères bénédictins, augustiniens ou antonins, proches ou lointains dont ils dépendent. Certains d'entre eux, pourtant, méritent le qualificatif de conventuels par l'importance de l'effectif qu'ils accueillent. Reste le sort des paroisses tantôt demeurées sous la tutelle directe de l'évêque ou du chapitre cathédrale et donc de l'église de Grenoble, tantôt confiées à un prieuré monastique ou canonial installé sur place ou relativement voisin. Des terres de cultures, des pâturages et des bois constituent pour chaque monastère ou prieuré un domaine temporel, géré d'abord souvent en faire-valoir direct, puis de plus en plus, en faire-valoir indirect. Sur le plan chronologique, nos premières certitudes datent du XIe siècle.
Sur les marges des Quatre montagnes, la Chartreuse des Ecouges connut un destin malheureux. Fondée en 1116, dans un site particulièrement rude et isolé, elle parvint à constituer un domaine temporel étagé des bords de l'Isère jusqu'au val de la Drevenne, avec pour complément des implantations sur des pâturages d'hiver, du Bas Dauphiné jusqu'à Serezin de la Tour. Mais l'hostilité de l'environnement humain et surtout les contraintes du relief et du climat, les difficultés des liaisons et des transports sur un versant coupé de falaises, poussèrent les Chartreux à renoncer en 1391. Des chartreusines venues de Parménie tentèrent alors l'aventure en conservant les Ecouges, mais en s'installant au bas du versant, à Revesty où les moines avaient songé dès 1294 à délocaliser leur chartreuse. Elles renoncèrent à leur tour, et après une ultime tentative pour implanter une communauté d'hommes, l'ensemble du site fut abandoné par l'ordre en 1422. Les Ecouges méritent une visite. On y voit les vestiges de la partie basse de l'église et nombre de lieux significatifs depuis Touron jusqu'aux sites du moulin, de la courrerie et du merveilleux alpage de Fessole.
Les paroisses de Saint Nizier, Villard de Lans et Corrençon restèrent dans la dépendance directe de l'église de Grenoble. Par contre, celles d'Autrans, Méaudre, Engins et celle, plus tardive de Montaud, furent confiées à des moines bénédictins. Les trois premières constituaient un vaste espace montagnard dans la dépendance du prieuré conventuel de Saint-Robert de Cornillon. Vers 1070, les Dauphins l'avaient fondé près de Saint-Egrève et confié au réseau casadéen, celui de la grande abbaye bénédictine de la Chaise-Dieu, en Auvergne. Ce prieuré partageait son domaine temporel entre la cluse de Grenoble, la Combe de Savoie, le Genevois, le nord du diocèse de Valence et les Quatre Montagnes. Dans les paroisses d'Autrans, de Méaudre et d'Engins, les bénédictins de Saint-Robert assuraient le service religieux, levaient les dîmes et des cens sur les terres de leur domaine temporel du prieuré. L'église d'Engins, pour son clocher central et la travée qui le porte, et celle d'Autrans également pour son clocher en partie intégré à une nef plus récente, présentent un réel intérêt archéologique. Quant à la paroisse de Montaud, créée par l'évêque Etienne Le Camus, le "Cardinal des Montagnes", qui la dissocia de celle de Saint-Quentin au XVIIe siècle, elle fut placée sous la houlette du prieuré de Moirans, lequel appartenait au réseau de l'abbaye bénédictine de Cruas, dans la vallée du Rhône au sud du confluent de la Drôme.
Le prieuré augustinien de Lans fut créé par des chanoines réguliers du monastère de Saint-Martin de Misère, lui même fondé par Saint-Hugues, à la fin du XIe siècle. Publié dans le premier numéro des Cahiers du Peuil, le compte rendu de la visite effectuée en 1680 par Etienne Le Camus nous apprend que depuis une cinquantaine d'années, les réguliers avaient laissé la place à un curé issu du séminaire nommé par l'évêque en tant que prieur de Saint-Martin, selon un système de commande qui donnait au bénéficiaire des droits mais aussi des devoirs. L'église a connu bien des travaux de restauration, et il ne subsiste que de modestes vestiges du XIIIe siècle (encadrement d'une porte ouvrant anciennement sur la nef).
On connaît le prieuré de Valchevrière depuis 1248-1249, par une mention dans un testament. Il dépendait alors d'un prieuré de l'abbaye bénédictine de Montmajour installé à la Motte-aux-Bois, futur Saint-Antoine en Viennois, pour veiller sur les reliques du saint. Mais en 1297, le pape écarta les bénédictins et, s'appuyant sur les frères de l'Aumône et leur hôpital spécialisé dans le traitement de l'ergot du seigle, il fit de Saint-Antoine une abbaye chef de l'ordre des Antonins. Il soumit ces derniers à la règle de Saint-Augustin. Valchevrière devint alors un prieuré ou plutôt une préceptorerie sujette des chanoines Antonins. Son rôle consistait surtout à collecter des fonds pour le fonctionnement de l'hôpital de Saint Antoine. Il ne faut pas chercher les traces de cet établissement sur le site actuellement connu de Valchevrière, où des ruines rappellent les combats de juillet 1944 et où se trouve une chapelle du XIXe siècle. Le prieuré était implanté plus au nord, à une altitude sensiblement plus basse, sur un beau replat de la combe des Eglises abaissée par la Bourne.
Sur place, des traces d'occupation humaines demeurent : emplacement de l'église et du cimetière (quartier dit Vers l'église sur le cadastre), endiguement du torrent, murettes de pierres. Mais le compte rendu de la visite pastorale de l'évêque Laurent 1er Alleman, en juillet 1488, signale que le prieuré dédié à Notre-Dame et à Saint-Antoine se trouve désormais propter locum desertum (dans un lieu inhabité) et en fort mauvais état. Déjà on n'y célèbre plus que six messes par an. En 1777, le titre de prieuré disparaît et les revenus reviennent à la préceptorerie de Pont-en-Royans. On se rend sur les lieux depuis les gorges de la Bourne, par le sentier qui s'élève à proximité du pont de Valchevrière et dont la pente apparaît fort bien calculée, ou en descendant depuis les ruines de ce qui fut longtemps le hameau le plus important de la commune, après que Villard l'eut emporté en 1820 dans le différend territorial qui l'opposait à Saint-Julien. Jusque là Valchevrière avait plutôt regardé vers le Royans.
Cette courte évocation souligne la diversité de la présence monastique et canoniale dans le nord du massif. Préparé par les Amis de Léoncel et publié dans la collection du Parc par les soins du Centre Permanent d'Initiation à l'Environnement, le onzième Cahier de Léoncel, "Vercors, terre monastique et canoniale", développe ce constat, l'étend à l'ensemble du territoire du Parc et y ajoute une importante bibliographie.
L'histoire des établissements religieux, les vestiges de leurs diverses constructions, les lieux et les traces de leurs entreprises économiques, les relations des moines et chanoines avec les communautés villageoises, et même les chemins qu'ils ont parcourus constituent un élément important du patrimoine du Vercors.